Une bataille venait d’avoir lieu. Des flammes pourpres rougeoyaient sur le sol et illuminaient tristement les corps éparpillés à perte de vue. Cette lumière inquiétante avait, depuis longtemps,  remplacé les feux du soleil qui s’en était allé pour ne laisser qu’un ciel vide, seul témoin de cette folie. La nuit éternelle régnait sur les cieux enveloppant ce carnage dans l’impunité la plus totale. Le sol était gorgé du sang des belligérants et sur nombres de visages l’on pouvait lire la surprise et l’effroi d’être passé si vite de vie à trépas. Les hurlements des vivants avaient finalement laissé place au silence des morts comme en attestait ce vent glacial et sinistre qui sifflait et soufflait sur ce monde en proie au chaos. Les nuages s’amoncelaient dans la nuit noire et nombres d’échardes de foudres martelaient la terre et la pierre. C’était un paysage désolé fait de chaires mortes et d’acier où ne subsistait ni raison, ni vainqueur, ni vaincu.

Tout se confondait dans cette scène d’horreur gravé à jamais dans ses yeux et son cœur. Il venait de mener sa première bataille d’envergure et avait, à de nombreuses reprises, échappé à la promesse d’une mort certaine. Il lui avait été dit que seul le feu pouvait éprouver l’acier, dorénavant il savait aussi que seul le sang pouvait éprouver le guerrier. Sa lame et sa noble tenue était toutes deux encore empourpré du liquide écarlate de bon nombre. Chose étrange, il ne se souvenait pas ou presque de ces mouvements dans la foule, il n’avait pas agi, il avait réagi. Son esprit et son corps étaient tous deux en phase et s’exerçaient alors dans une danse macabre où il dispensait le malheur et la mort autour de lui. Il y avait été entraîné, il y avait été préparé toute sa vie et les corps gisant sans vie sur la pierre représentaient autant de trophées que de gages de sa témérité et de son talent. Un talent inné, celui de son sang qu’il a appris à développer dans le seul but de prendre ce qu’il n’avait pas et de garder ce qu’il possédait déjà.

Son jeune âge, sa silhouette frêle et son visage empreint d’innocence parcouraient ce champs de bataille à la recherche d’êtres encore debout et encore capable de lever l’épée. Au bout du chemin qu’il arpentait, il vit un démon qui lui ressemblait, mais dont les âges avaient façonnés le corps et l’esprit. Il chevauchait un sombre destrier. Son armure en plaque étincelait par endroit sous la lumière des flammes et de la foudre et d’autres endroits eux,  restaient dans les ténèbres du sang et des ombres. L’homme regarda l’enfant qui grandissait sous ses yeux. Il avait été magnifique dans la bataille, mais jamais il ne lui dira ces mots. Alors, il se contenta de hocher vers lui avant de quitter les lieux au grand galop. L’enfant souriait étrangement, sa lassitude avait laissé place à de la joie suite à ce court signe de reconnaissance.

Oui père, je suis toujours là.

Partie.II  | Loin derrière la nuit.

La bataille venait de s’achever depuis peu et déjà, des pillards s’étaient passés le mot et retrouvés dans ce charnier où ils dépouillèrent les morts des biens qu’ils ne pouvaient amener avec eux de l’autre côté. Lorsque les pillards s’en allèrent, les charognards arrivèrent. Des tréfonds de la forêt ou des tumultes du ciel, ces ombres approchaient encore et encore jusqu’à étancher leur soif dans le sang et leur faim dans la chaire : les morts nourrissaient les vivants. Spectateur de ce cycle sinistre et ô combien banale, le jeune Seïrdan poursuivait sa route, quittant ce champ de bataille qui n’en était plus un, mais était devenu un charnier. Son corps frêle et à l’apparence fragile était recouvert d’une armure légère qui le protégeait sans entraver ses mouvements, ou du moins, le moins possible. Ses longs cheveux couleur ébène cascadaient sur son dos et contrastaient grandement avec son visage livide. Ses yeux d’un gris bleuté regardaient droit devant et étaient empreint d’un voile  étrange qui lui donnait cet air taciturne, las et indifférent. Il était jeune, mais son regard s’était posé sur les ténèbres et l’horreur qui le firent grandir plus tôt qu’il n’aurait due.

Sa lame reposait dans un écrin, un fourreau fait à partir de bois précieux. Le manche était également fait de ce même bois ajouté à cela qu’il était également renforcé par un file d’argent qui rendait le tout à la fois plus solide, mais qui aussi, améliorait la prise en main. La lame, elle, était faite dans un mélange d’acier et d’argent pure. Morte puis ramenée à la vie, couler dans le feu et noyer dans l’eau à de nombreuses reprises, le métal avait alors été dépourvu de toutes impuretés puis aiguisé par un maître forgeron des mois durant. La voilà à présent qui hantait les pas du jeune démon, partout où il allait, elle le suivait. Elle était sa compagne, son alliée et sa bienfaitrice. Bien qu’elle n’avait rien de magique, une fois dans la main d’un pratiquant, elle se révélait terriblement efficace. Aucune armure n’avait su l’arrêter, aucun sang n’avait pu endiguer son tranchant, la beauté fatale avait magnifiquement remplit son office.

Lui-même ne s’en rendait pas compte, mais à de nombreuses reprises il caressait la garde de celle-ci comme pour la remercier de lui avoir été fidèle jusqu’à maintenant. Alors qu’il tournait son visage vers le ciel qui s’était mis à pleurer pour tant de mort, il vit une ombre s’approcher. La silhouette fût d’abord floue sous la pluie battante puis distincte malgré la distance à laquelle elle se trouvait.  Il s’agissait d’un des ogres sous l’autorité du roi sombre. Il mesurait trois mètres au moins et son armure était renforcé. Son énorme massue traînait sur le sol et la boue et l’on pouvait encore y voir des morceaux d’hommes sur les pics. Avançant lentement mais avec régularité, ses yeux plus noir que la nuit venait de se poser sur le jeune guerrier qui venait de dégainer sa lame, le combat pouvait reprendre...

L’ogre avançait inéluctablement sur le sentier qui se concluait par la présence du jeune Seïrdan. Bien décidé à ne pas tourner les talons, le guerrier cherchait une faille dans la carapace de son futur opposant. La lourde massue tenue en arrière sur le sol laissait une trainée rouge écarlate qui derrière le colosse dont l’expression sur le visage trahissait sa pensé : Il souhaitait ardemment briser l’impudent qui lui barrait la route. Le corps porter vers l’avant, le Seïrdan bondit avec élan et vitesse sur son ennemi. Rapide et agile, il était la personnification vivante de sa race. Toutefois, l’ogre n’était pas du genre à être impressionné par le premier venu et lança alors son imposante massue à la verticale comme pour clouer sur place cette mouche qui virevoltait.  Malgré le poids d’une telle arme, elle semblait aussi légère et maniable qu’une lame dans sa main et bien que Mendo ait été surpris, il se décala d’un pas sur le côté et évita le coup au dernier moment. Dans le même instant, sa lame esquissa un arc de cercle à l’horizontale. Le bruit de l’acier frottant sur le fourreau avant de s’échapper résonnait encore lorsqu’il s’immobilisât derrière son ennemi, dos à lui.

Souriant, le visage glorifié par la douce étreinte de la victoire, il entendit l’être malfaisant bouger, mais ne prit pas la peine de se retourner pour le constater,  il était surement sur le point de s’écrouler, c’était pour lui une évidence. De l’arrogance dans ce cas précis puisque l’ogre pivota sur lui-même pour cueillir le jeune sot avec sa massue. Ayant à peine eut le temps de lever son épée pour parer le coup, le Seïrdan fut projeté sur plusieurs mètres et son corps alla se rompre sur le sol à de nombreuses reprises dans un enchaînement de cascades. Balayé comme une poupée de chiffon, il resta là, allongé sur le sol, inerte.

Incompréhensible, inimaginable se disait-il alors qu’il tentait de ne pas sombrer dans l’inconscience tout en évaluant son état physique. Repassant la scène dans son esprit, il se revit couper presque en deux cet ennemi et pourtant, il avait échoué. La lame n’avait fait que riper sur l’imposante cuirasse et ce coup porté avait même laissé une fissure sur l’acier trempé de son épée. Jusqu’ici, il avait toujours planifié les probabilités d’un combat et les causes possibles de succès et d’échecs. Toutefois, il venait de réaliser qu’un entrainement restait un entrainement et que dans un combat réel, rien n’était couru d’avance, la seule chose qui était certaine était l’incertitude elle-même. Puisant dans ses dernières forces, le jeune guerrier se relevait à l’aide de son épée dont il se servait comme d’une canne sous le regard moqueur de l’ogre qui ne perdait pas une miette du spectacle. L’épaule droite démise, des ecchymoses sur tous le corps et quelques côtés cassés, il s’en sortait miraculeusement bien, mais ne semblait plus être en mesure de l’emporter… Avait-il seulement ses chances dès le commencement ?